[Opinion] L’Arménie ne se remet pas de sa cruelle défaite face à l’Azerbaïdjan

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Depuis sa cinglante défaite dans la guerre qui l’a opposée à l’Azerbaïdjan à l’automne 2020 pour le contrôle de l’enclave du Nagorny Karabakh (cf. LSDJ n°1116 et LSDJ n°1186), l’Arménie ne parvient pas à tourner la page.

Non seulement les trois millions d’Arméniens ont perdu les trois quarts de leur terre ancestrale du Nagorny Karabakh (devenue la République d’Artsakh depuis qu’ils l’avaient reconquise, trente ans plus tôt), mais au moins quatre mille d’entre eux ont été tués en quarante-quatre jours de conflit. Le peuple n’a pas encore surmonté sa colère et sa frustration qu’il reporte sur ses dirigeants. Accusé d’avoir été un boutefeu inconséquent puis un « traître » pour avoir signé en novembre un cessez-le-feu désastreux pour son pays, le premier ministre Nikol Pachinian a annoncé qu’il démissionnerait au cours de ce mois d’avril tout en continuant d’exercer ses fonctions par intérim jusqu’aux législatives anticipées prévues le 20 juin avec l’accord de l’opposition.

L’hostilité envers Pachinian est montée d’un cran fin février, lorsqu’il a limogé plusieurs hauts responsables militaires qu’il accusait de fomenter un coup d’État.Une quarantaine d’officiers supérieurs de l’armée ont répliqué, non par un coup d’État mais par un communiqué « demandant » la démission du premier ministre. Précédemment, Pachinian avait aussi engagé des poursuites contre l’ex-président Robert Kotcharian, mais la Cour constitutionnelle arménienne avait ordonné l’abandon de ces poursuites. Lorsque les militaires ont publié leur communiqué, Pachinian a limogé le chef de l’état-major meneur de la fronde, et appelé ses partisans à descendre dans la rue. Mais l’affaire s’est soldée par un match nul, les deux à trois mille manifestants pro Pachinian suscitant un nombre équivalent de contre-manifestants. En fait, ce sont surtout ces derniers qui tiennent le haut du pavé puisqu’ils défilent plusieurs fois par semaine pour réclamer le départ de Pachinian depuis la défaite de novembre dernier. Néanmoins, l’opposition est loin de former un bloc soudé : elle est fragmentée en dix-sept partis ! En outre, si le libéral et pro-Occidental Pachinian est tenu pour responsable de la défaite, la corruption régnant sous les anciens présidents « post-soviétiques » Robert Kotcharian et Serge Sarkissian, n’a pas été sans conséquences sur l’impréparation diplomatique et militaire du pays.

Alors que l’Azerbaïdjan musulman a été soutenu explicitement par la Turquie qui a fourni en abondance à son allié des armes sophistiquées et des mercenaires, le rôle de la Russie, traditionnellement aux côtés de l’Arménie, reste trouble. Poutine n’aime pas le pro-Occidental Pachinian et le tient pour un naïf incompétent politiquement et militairement. Il a donc cyniquement laissé les mains libres aux Turcs tout en sifflant la fin de la partie lorsqu’il a jugé que la « correction » était suffisante. Mais le ressentiment des Arméniens envers le Kremlin pourrait à présent sauver sinon Pachinian (celui-ci, repentant, s’est rendu à Moscou comme à Canossa, le 7 avril) du moins son parti qui bénéficierait encore de 33% des voix (selon un récent sondage Gallup) en cas d’élections. À moins que ce ne soit le ressentiment des Arméniens envers l’Union Européenne qui l’emporte, ce qui donnerait toutes ses chances à l’ancien président de l’Arménie Robert Kotcharian qui, lui, est un ami de longue date de Poutine qui l’a reçu au Kremlin, le 6 avril, veille de la visite de son rival Pachinian…

Que pensent en effet les Arméniens des instances de l’Union Européenne ? Elles ont regardé ailleurs pendant qu’ils se faisaient massacrer par l’armée de l’Azerbaïdjan suréquipée avec l’appui de la Turquie, membre de l’OTAN. Non seulement les agresseurs ont utilisé des armes interdites (bombes à sous-munitions, phosphore…), mais ils ont décapité des prisonniers, militaires et civils au cri de « Allah akbar ! » en filmant ces scènes façon Daech, et ils refusent à présent de libérer des rescapés au mépris des règles internationales. « L’Europe doit enfin sortir du silence ! » exhorte le député européen François-Xavier Bellamy dans une tribune au Figaro (en lien ci-dessous).

Philippe Oswald

Source : Le Figaro

Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour


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